Rapport de la Commission Européenne du 10 mai 2017 relatif à l’enquête sectorielle sur le commerce électronique
par Cécile Staudt
12-05-2017

Rapport de la Commission Européenne du 10 mai 2017 relatif à l’enquête sectorielle sur le commerce électronique

Ce 10 mai 2017, la Commission Européenne a rendu son rapport final relatif à l’enquête sectorielle sur le commerce électronique lancée le 6 mai 2015. Cette enquête s’inscrivait dans le cadre de la stratégie pour un marché unique numérique qui vise notamment à garantir aux consommateurs et aux entreprises un meilleur accès aux biens et aux services grâce au commerce électronique dans l’Union Européenne.

Le commerce électronique a connu une croissance constante ces dernières années avec pour conséquence que certaines pratiques commerciales posant des problèmes de concurrence sont apparues et que d’autres ont évolué.

L’objectif de la Commission était d’identifier et de comprendre certaines pratiques commerciales afin de définir des priorités pour la mise en œuvre des règles de concurrence de l’UE. Après avoir recueilli des renseignements auprès de divers acteurs, la Commission a publié un rapport préliminaire le 15 septembre 2016. Ce rapport fut suivi d’une consultation publique ouverte à toutes les parties intéressées.

Le rapport final de la Commission du 10 mai 2017 résume les principales conclusions de l’enquête tout en intégrant les observations soumises au cours de la consultation publique. Ce rapport final est divisé en deux parties : l’une relative au commerce électronique des biens de consommation et l’autre au commerce électronique des contenus numériques. Nous nous attarderons ci-dessous la première partie.

Le rapport est disponible sur internet : http://ec.europa.eu/competition/antitrust/sector_inquiry_final_report_fr.pdf

I. Principales conclusions de l’enquête sur le commerce électronique des biens de consommation :

L’enquête révèle que la croissance du commerce électronique a eu des effets importants à la fois sur les stratégies de distribution des entreprises et sur le comportement des clients.

1. La transparence des prix s’est accrue.

Si cela permet au consommateur de trouver la meilleure offre en ligne, la Commission souligne les risques de parasitisme que cela peut engendrer. La Commission estime qu’il est essentiel de préserver l’intérêt, pour les détaillants, d’investir dans des services de qualité en créant des conditions uniformes pour le commerce hors-ligne et le commerce en ligne.

2. Accroissement de la concurrence par les prix.

Si cela peut engendrer des effets bénéfiques pour les consommateurs, une telle concurrence par les prix peut nuire à la concurrence pour d’autres paramètres, tels que la qualité, l’image de marque ou l’innovation.

3. Les détaillants peuvent suivre en ligne les prix de leurs concurrents.

Cela ce qui risque de donner lieu à une coordination automatisée des prix et dans certains cas, engendrer des problèmes de concurrence.

4. Modèle alternatif de distribution en ligne

Les places de marchés en ligne ont permis aux détaillants d’accéder plus facilement aux clients. Une telle évolution peut cependant parfois aller à l’encontre des stratégies de distribution et de marque des fabricants.

Ces évolutions ont eu une incidence considérable sur l’évolution du marché. Le rapport souligne ainsi les principaux éléments suivants :

  • De nombreux fabricants ont décidé de vendre leurs produits directement aux consommateurs en ligne, entrant ainsi de plus en plus en concurrence avec leurs propres distributeurs indépendants ;
  • Les fabricants recourent de plus en plus aux systèmes de distribution sélective, ce qui leur permet de mieux contrôler les réseaux de distribution ;
  • Les fabricants recourent de plus en plus à des restrictions verticales telles que les restrictions tarifaires, interdiction de vendre sur des places de marchés, restrictions à l’utilisation d’outils de comparaison des prix et exclusion des acteurs présents exclusivement en ligne.

II. Principaux problèmes de concurrence liés au commerce électronique des biens de consommation :

1. Distribution sélective

Si les résultats de l’enquête n’appellent pas de changements de l’approche générale de la distribution sélective qualitative et quantitative, le rapport de la Commission souligne que la distribution sélective pourrait faciliter certaines restrictions verticales pouvant poser des problèmes de concurrence et nécessiter un examen.

La Commission relève ainsi que de nombreux fabricants exigent l’exploitation d’un point de vente physique par les détaillants, excluant ainsi les distributeurs présents exclusivement en ligne. La commission considère que les exigences relatives à un point de vente physique sont généralement couvertes par le règlement d’exemption dans la mesure où ces exigences visent à promouvoir la concurrence par la qualité. Cependant, un examen plus approfondi pourrait s’avérer nécessaire lorsque ces exigences sont sans liens manifestes avec la qualité de la distribution ou d’autres gains d’efficience potentiels.

2. Restrictions à la vente et à la publicité en ligne

L’enquête révèle que les détaillants en ligne sont souvent confrontés aux restrictions verticales suivantes :

  • Restrictions ou recommandations tarifaires : rappelons que les accords fixant un prix de vente minimal ou fixe sont considérés comme des « restrictions de concurrence par objet » aux termes de l’article 101 § 1 TFUE et comme des restrictions caractérisées au sens du règlement d’exemption. De tels accords sont donc en principe interdits.

La transparence des prix en ligne risque de permettre aux fabricants d’adopter des mesures de rétorsion contre les détaillants qui s’écarteraient du niveau de prix souhaité ou encore de faciliter ou renforcer la collusion entre détaillants.

Malgré les critiques de plusieurs participants, la Commission confirme que le système du double prix (prix de gros différent pour un même produit à un même détaillant, selon que le produit est censé être vendu « en ligne » ou « hors-ligne ») est généralement considéré comme une restriction caractérisée au sens du règlement d’exemption. La Commission souligne cependant qu’il est possible d’exempter au cas par cas les accords en matière de double prix, par exemple lorsque ce système est indispensable pour remédier au parasitisme.

Ce système ne doit pas être confondu avec le fait de facturer un prix différent pour le même produit à différents détaillants, qui est généralement considéré comme faisant partie du processus concurrentiel normal.

  • Restrictions à la vente sur les places de marchés (plateformes) en ligne : Sans préjudice de la  procédure préjudicielle actuellement pendante sur cette question devant la Cour de justice, la Commission conclut de l’enquête que les interdictions absolues d’utiliser les places de marchés ne doivent pas être considérées comme des restrictions caractérisées au sens du règlement d’exemption.

Il n’en reste pas moins que, lorsque la situation du marché le justifie, le bénéfice de l’exemption par catégorie pourrait être retiré aux interdictions de vendre sur des places de marchés.

  • Restrictions géographiques à la vente et à la publicité en ligne : l’enquête a relevé de nombreux cas de « blocage géographique » (détaillants refusant de vendre aux clients situés dans un autre Etat membre) ou de « filtrage géographique » (détaillants en ligne permettant aux consommateurs établis dans un autre Etat d’acheter des biens, mais à des conditions différentes).

    La Commission souligne que les mesures de blocage géographique fondées sur des décisions unilatérales d’entreprises non dominantes ne tombent pas dans le champ d’application de l’article 101 TFUE.

    Les mesures fondées sur des accords ou pratiques concertés peuvent quant à elles relever de cet article et par, conséquent. La Commission rappelle ici le principe de l’interdiction des restrictions contractuelles relatives au territoire sur lequel le distributeur peut vendre les biens concernés. De telles restrictions sont généralement considérées comme des restrictions caractérisées, sauf cas particuliers (possibilité de restreindre les ventes actives sur un territoire exclusif).

  • Utilisation de données dans le commerce électronique

La Commission souligne que si les données peuvent constituer une source précieuse et apporter des bénéfices substantiels, des problèmes de concurrence liés à la collecte et à l’utilisation de ces données peuvent survenir tel que par exemple l’échange de données sensibles.

En conclusion, la Commission estime qu’il n’est pas nécessaire d’anticiper le réexamen du règlement d’exemption relatif aux accords verticaux qui expirera en 2022. Les résultats de l’enquête serviront cependant à cibler la mise en œuvre des règles de concurrence et à veiller à leur application cohérente aux pratiques concernant le commerce électronique.

Cécile Staudt, avocat

cs@kmspartners.be