Règlement des conflits entre actionnaires dans les SRL et SA

A) PRINCIPES

Les conflits internes entre actionnaires peuvent être résolus devant les tribunaux par le retrait ou l’exclusion d’un actionnaire ou encore par la dissolution de la société si le demandeur peut invoquer des justes motifs.

B) CHAMP D’APPLICATION

Les actions en exclusion et en retrait sont d’application dans les SRL et les SA à l’exception des sociétés cotées qui bénéficient d’un marché liquide.

Les actionnaires sont identifiés comme les titulaires de tout ou partie du droit de propriété sur des titres, à l’exception du droit de propriété à titre de sûreté.

Les titres visent :

  • Les actions
  • Les parts bénéficiaires,
  • Les titres et droits contractuels qui donnent droit à l’acquisition de tels titres.

Les droits de souscription et les obligations convertibles ou les droits contractuels, comme les options, seront donc considérés comme des titres au sens de la loi.

Les SC sont exclues du champ d’application de ces dispositions : les articles 6:120 à 6:123 CSA organisent une possibilité de démission de l’actionnaire et une procédure d'exclusion pour justes motifs relevant de la compétence de l’assemblée générale.

Ce régime a également été institué à titre facultatif dans la SRL

C) LES PARTIES AU LITIGE

1) Seuils

L’introduction d’une action en exclusion est subordonnée à la détention d’une participation minimale de 30 % :

  • des voix attachées à l’ensemble des titres existants ou
  • du capital de la société (dans les SA) ou
  • des droits au bénéfice attachés à ces titres (dans SRL ou la notion de capital n’a plus cours).

Seuls les droits de vote effectifs seront pris en considération : les titulaires d’option, d’obligations convertibles ou de warrants ne pourront donc introduire l’action en exclusion sur la base de la détention de ces titres.

L’action en retrait peut quant à elle être introduite par tout actionnaire, indépendamment du pourcentage de participation détenue.

2) Propriété démembrée

Le titulaire d’une partie du droit de propriété (usufruitier, nu-propriétaire, indivisaire), peut agir soit en demandant soit en défendant, tant dans les actions en exclusion que dans les actions en retrait.

Les autres titulaires doivent alors être mis à la cause et pourront rester passifs ou se positionner eux-mêmes comme demandeurs en fonction des justes motifs qu’ils peuvent faire valoir ou qui pourraient être invoqués contre eux.

Il s’agit d’une avancée du CSA par rapport au Code des sociétés qui n’abordait pas explicitement la question. On considérait alors, sur la base du droit commun, que les indivisaires devaient agir conjointement et que les actions en retrait ou en exclusion ne pouvaient être menées que par le nu-propriétaire, à l’exclusion de l’usufruitier.

Ces questions sont à présent directement régies par le CSA qui permet toutes les combinaisons.

Ainsi, un nu-propriétaire peut introduire une action en exclusion contre un actionnaire vis-à-vis duquel il peut invoquer de justes motifs. Il devra alors mettre à la cause l’usufruitier qui pourra choisir de rester passif ou d’introduire à son tour une demande en exclusion ou en retrait, sous réserve de l’admissibilité de justes motifs dans son chef. Le juge peut alors ordonner le transfert des actions de l’associé défendeur en répartissant les droits d’usufruit et de nue-propriété à qui de droit.

Dans ce cas, situation pourrait schématiquement se présenter comme suit :

Demandes et justes motifs

Transfert des droits

 

3) Position procédurale de la société

La société doit être citée à comparaître dans la procédure. À défaut, le juge remet l’affaire à une date rapprochée.

C’était déjà le cas sous le régime du Code des sociétés, mais la société avait alors un rôle se limitant, pour l’essentiel, à l’information des autres actionnaires afin de leur permettre d’intervenir volontairement dans la procédure.

Dans les nouvelles dispositions du CSA, qui étend sensiblement les pouvoirs du juge (cf. infra), la société peut introduire, ou subir, certaines demandes dans le cadre des conflits financiers qui opposent les actionnaires et qui pourraient également intéresser la société et les sociétés qui lui sont liées, comme par exemple le remboursement des prêts et comptes courants ou les clauses de non-concurrence (article 2:62, § 3 CSA).

D) COMPÉTENCE PRÉSIDENTIELLE

Par souci de rapidité, les actions en exclusion ou en retrait doivent être portées devant le président du tribunal de l’entreprise du siège de la société, siégeant comme en référé (article 2:62, § 1er CSA).

Sous l’empire des anciennes dispositions du Code des sociétés, cette juridiction d’exception ne pouvait se prononcer que sur l’action en retrait ou en exclusion, ce qui laissait bien souvent subsister une série de litiges connexes entre les parties.

Le CSA étend désormais les compétences du juge en vue de lui permettre d’appréhender, autant que faire se peut, la globalité du litige opposant, non seulement les actionnaires entre eux, mais également les actionnaires et la société (voir infra).

E) POUVOIRS DU JUGE

Le cœur du mécanisme de résolution des conflits internes réside dans le pouvoir du juge d’ordonner le transfert des actions moyennant le paiement d’un prix dont il lui appartiendra de déterminer le montant.

Le CSA a augmenté les pouvoirs du juge pour permettre aux actions en retrait et en exclusion de se rapprocher des cessions conventionnelles d’actions qui s’accompagnent de nombreuses modalités, essentielles pour les parties.

1) CESSION CONTRE UN PRIX

a) Transfert des titres et justes motifs

Le bien-fondé de la demande dépendra de la légitimité des justes motifs invoqués par le demandeur.

La doctrine et la jurisprudence ont schématiquement classés les justes motifs en trois catégories regroupant :

1. l’inexécution par le défendeur de ses engagements et d’autres manquements,
2. les abus de majorité ou de minorité et
3. la mésintelligence grave entre associés.

L’article 2:73 CSA indique, en matière de liquidation, que « il y a justes motifs, non seulement lorsqu'un actionnaire ou un associé manque gravement à ses obligations ou lorsque son infirmité le met dans l'impossibilité d'exécuter celles-ci, mais encore dans tous les autres cas qui rendent impossible la poursuite normale des affaires sociales, telle la mésintelligence grave et durable des actionnaires ou des associés. »

Dans l’action en retrait où l’accent sera davantage placé sur les intérêts de l’actionnaire retrayant, qui sera dans la plupart des cas un actionnaire minoritaire, les justes motifs doivent être imputables au défendeur. Cette imputabilité, qui n’implique pas nécessairement la présence d’une faute, n’est pas requise dans l’action en exclusion. Cette dernière sera le plus souvent le fait d’un actionnaire majoritaire et sera davantage centrée sur l’intérêt social objectif de la société pour le futur.

Le CSA supprime les mesures de publication qu’imposaient le Code des sociétés et qui étaient susceptible de susciter la défiance des tiers.

b) Clauses restreignant la cessibilité des titres

Les statuts coordonnés et les conventions qui restreignent la cessibilité des titres (article 2:66 et 2:68 CSA) doivent être produits à la procédure et le juge devra y avoir égard. Il a néanmoins le pouvoir de se prononcer sur la validité de ces clauses ou, le cas échéant, de les imposer aux acquéreurs des titres qui seront alors tenus par les mêmes restrictions.

Lorsque les clauses sont valables et que leurs bénéficiaires ont été appelés à la cause, le juge a la possibilité :

1. de se substituer à toute partie ou à tout tiers désigné pour fixer le droit d’exercice d’un droit de préemption,

2. de fixer le prix d’exercice du droit de préemption lorsque l’application de la clause aboutirait à un prix déraisonnable,

3. de réduire les délais d’exercice du droit de préemption moyennant l’octroi d’un escompte ou encore,

4. d’écarter l’application des clauses d’agrément applicables aux actionnaires (article 2:66 et 2:68).

c) Détermination du prix

Le CSA prévoit que le juge est tenu par les clauses de fixation du prix statutaires ou contractuelles convenues entre les associés, pour autant que ces dernières :

1. visent expressément l’hypothèse d’une exclusion ou d’un retrait judiciaire et
2. que les formules définies dans les conventions ne donnent pas lieu à un prix manifestement déraisonnable.

Lorsque les clauses contractuelles d’évaluation ne visent pas spécifiquement l’hypothèse de résolution judiciaire des conflits, le juge pourra néanmoins y avoir égard, à titre d’inspiration, sans que ces clauses ne soient contraignantes.

Dans tous les cas, le juge peut se substituer à toute partie ou à tout tiers désigné par les statuts ou les conventions pour fixer le prix.

Le juge évaluera les actions à la date où il ordonne le transfert. Si cette évaluation aboutit à un prix manifestement déraisonnable, le juge peut décider de modifier la date de référence ou d’une augmentation ou d’une réduction équitable du prix en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes du litige qui lui est soumis.

d) Dissociation du transfert et du paiement

Le juge peut ordonner le transfert des titres dans le délai qu’il fixe à dater de la signification du jugement. Si le juge ordonne le transfert de propriété sans imposer le paiement immédiat du prix définitif, il peut imposer au demandeur de fournir une sûreté pour le prix de reprise restant dû (articles 2:67, al. 1 et 2:69, al. 1 CSA).

e) Prix provisoire

Le transfert de propriété peut être ordonné moyennant le paiement d’un prix provisoire dans l’attente de la fixation du prix définitif en fonction d’événements susceptibles d’en impacter la valeur après la date du transfert de propriété. (articles 2:67, al. 4 et 2:69, al. 4 CSA).

Cette possibilité s’apparente aux garanties de passif conventionnelles, puisqu’elle permet d’attendre l’issue d’un événement futur et incertain pour déterminer le prix de cession définitif.

C’est évidemment aux parties qu’il appartiendra d’attirer l’attention du juge sur ces éléments et de solliciter une fixation du prix en deux temps pour tenir compte de leur incidence sur la valeur finale des actions.

2) LITIGES LIÉS À L’EXCLUSION OU AU RETRAIT

a) Propriété des titres

Le président peut statuer sur tout litige qui porterait sur tout ou partie du droit de propriété relatif aux titres des parties, à condition que cela soit nécessaire à l’appréciation de la recevabilité de l’action en exclusion ou en retrait.

b) Relations financières connexes

Le président sera également appelé à connaître des litiges connexes portant sur les relations financières entre les parties et la société ou avec des sociétés ou personnes qui y sont liées, notamment les litiges concernant les prêts, les comptes courants et les sûretés (article 2:62, § 3 CSA).

Les travaux préparatoires excluent expressément les actions en responsabilité et en particulier la responsabilité des administrateurs ou des commissaires qui relèvent du droit commun. On peut cependant s’interroger sur la pertinence de cette limitation qui nous paraît sujette à discussion. Les procès en responsabilité d’administrateurs peuvent en effet souvent se rattacher aux justes motifs examinés dans la procédure de règlement du conflit entre les actionnaires et la sanction de cette responsabilité, si elle est établie, est susceptible de déboucher sur une indemnité financière en faveur de la société. Ces éléments pourraient donc être considérés comme répondant au double critère d’un litige connexe portant sur une relation financière. La doctrine majoritaire semble actuellement suivre la position exprimée dans les travaux préparatoires. Il faudra néanmoins attendre que la jurisprudence se prononce sur la question.

c) Clauses de non-concurrence

Les cessions conventionnelles de titres comprennent souvent une obligation de non-concurrence à charge du cédant. De telles clauses sont susceptibles d’avoir une influence significative sur le prix de cession.

Les auteurs du CSA ont voulu traduire cette réalité dans les cessions judiciaires.

Le juge reçoit ainsi la possibilité de subordonner une partie du prix à l’acceptation d’une clause de non-concurrence qu’il proposera à l’actionnaire exclu ou retrayant. Il pourra également proposer le renforcement d’une clause de non-concurrence déjà existante (articles 2:67, al. 5 et 2:69 al. 5 CSA).

Le juge pourra par ailleurs apprécier les clauses existantes. Il pourra, à la demande du débiteur de l’obligation, délier celui-ci de la clause de non-concurrence ou en limiter la portée, le cas échéant moyennant une réduction du prix.

d) Sûretés

Les actionnaires sont souvent amenés à se porter personnellement caution ou à consentir d’autres sûretés pour garantir les engagements de la société. Ces obligations contractuellement souscrites en faveur de tiers subsistent en principe après la cession des titres par le garant.

Les cessions conventionnelles prévoient en général des dispositions de nature à rencontrer les préoccupations du cédant, que ce soit par le biais d’une mainlevée à accorder par le bénéficiaire, éventuellement assortie d’une substitution des garanties consenties en sa faveur, ou encore par la constitution d’une contre-garantie.

Ces modalités peuvent désormais être imposées par le juge (articles 2:67, al. 6 et 2:69 al. 6 CSA).