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La responsabilité de l'administrateur de société

A). LA RESPONSABILITÉ CIVILE DE L’ADMINISTRATEUR

La responsabilité civile de l’administrateur comprend deux volets : l’un est régi par des règles générales, l’autre relève de règles spéciales.

1). Régime de base

a). Dispositions légales

Les règles relatives à la responsabilité des administrateurs ont été regroupées sous le titre 6 du livre 2 du CSA qui s’applique à l’ensemble des personnes morales régies par le Code. La responsabilité fait l’objet du Chapitre 2 (articles 2:56 à 2:58 CSA)

Ces nouvelles dispositions opèrent une rationalisation par rapport aux textes qui étaient autrefois dispersés entre les différentes formes sociétaires et concernent les dirigeants des SA, SRL, SC, mais aussi des A(I)SBL ou des sociétés simples dotées de la personnalité juridique. On notera au passage que la terminologie est également uniformisée : les SRL seront dirigées par un ou plusieurs administrateurs et non plus par des gérants.

b). Notion d’administrateur

Le CSA prévoit donc un régime uniforme qui s’applique à chaque membre d’un organe d’administration ou délégué à la gestion journalière (article 2:51 CSA) ainsi qu’aux administrateurs de fait (article 2:56 CSA).

Lorsqu’un mandat d’administrateur ou de délégué à la gestion journalière est exercé par une personne morale, celle-ci doit désigner une personne physique qui agira comme son représentant permanent. Cette personne sera soumise aux mêmes responsabilités civiles et pénales que si elle exerçait le mandat à titre personnel, solidairement avec la personne morale qu’elle représente (article 2:55 CSA).

c). Faute de gestion

La responsabilité des administrateurs est susceptible d’être engagée à l’égard de la société envers laquelle ils exercent leur mandat. Il s’agira donc d’une responsabilité contractuelle appelée à sanctionner les fautes commises dans l’accomplissement de leur mission.

On parle d’« actio mandati » pour désigner l’action en responsabilité basée sur une faute commise dans l’exécution de son mandat.
Cette actio mandati ne peut être mise en œuvre que par la société qui a désigné l’administrateur concerné, par l’intermédiaire de son assemblée générale. Nul tiers ne pourrait donc engager la responsabilité de l’administrateur sur ce fondement.

d). Violation du CSA ou des statuts

L’article 2:56, alinéa 3 dispose que : « Même si l’organe d’administration ne forme pas un collège, ses membres répondent solidairement tant envers la personne morale qu’envers les tiers, de tout dommage résultant d’infractions aux dispositions du présent code ou aux statuts de cette personne morale ».

Cette responsabilité peut être engagée tant par les tiers que par la société.

On citera, comme exemples de fautes visées par cette disposition :

- Le défaut de convocation de l’assemblée générale en cas de perte de plus de la moitié du capital (SA) ou de l’actif net (SRL et SC) ;
- Le fonctionnement irrégulier des organes de la société ;
- Le non-respect des dispositions applicables en cas de conflit d’intérêts ;
- Etc.
Dès que la violation de la loi ou des statuts est établie, la faute existe.
Le demandeur de l’action en responsabilité devra alors établir le dommage qu’il invoque et le lien de causalité entre ce dommage et la faute de l’administrateur.

e). Faute extracontractuelle

La responsabilité peut également être engagée vis-à-vis des tiers lorsque la faute commise par l’administrateur dans l’accomplissement de sa mission a une nature extracontractuelle (article 2:56, alinéa 1 CSA).

Cette disposition renvoie à la responsabilité aquilienne de l’article 1382 du Code civil, aux termes duquel « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».
La faute constitue ici la violation d’une obligation générale de prudence et de diligence, s’imposant à tous.
Toute faute de gestion ne sera donc pas automatiquement considérée comme constituant simultanément une faute au sens de l’article 1382.
L’action en responsabilité fondée sur l’article 1382 peut être engagée tant par les tiers que par la société.

f). Critères d’appréciation de la responsabilité de l’administrateur

Le CSA consacre le principe d’appréciation marginale de la faute des administrateurs qui ne seront responsables que des décisions, actes ou comportements qui excèdent manifestement la marge dans laquelle des administrateurs normalement prudents et diligents placés dans les mêmes circonstances peuvent raisonnablement avoir une opinion divergente.

L’appréciation marginale suppose que l’administrateur dispose effectivement d’une marge d’appréciation. Ce ne sera pas le cas en cas de violation des règles statutaires ou des dispositions légales qui ne laissent pas de latitude aux dirigeants tenus de les respecter.

g). Responsabilité individuelle ou solidaire

La responsabilité des administrateurs est en principe de nature individuelle. Elle sera de nature solidaire lorsque les administrateurs forment un collège, ce qui est le cas dans les sociétés anonymes et peut être prévu statutairement dans les SRL et les sociétés coopératives. La solidarité s’applique entre les dirigeants agissant au même niveau d’administration, mais elle ne sera pas d’application, par exemple, entre les membres de l’organe d’administration et le délégué à la gestion journalière.

Elle sera également solidaire, même en l’absence d’un organe collégial, si la faute résulte d’une violation d’une disposition contenue dans le CSA ou dans les statuts.

Un administrateur peut cependant se dégager de toute responsabilité pour une faute à laquelle il n’a pas pris part en dénonçant cette faute aux autres membres de l’organe d’administration ou, le cas échéant, à l’organe d’administration collégial et au conseil de surveillance (lorsque la société a opté pour un mode de gestion dual). Cette dénonciation au sein de l’organe d’administration est une innovation du CSA. La dénonciation devait autrefois être faite à l’assemblée générale, ce qui pouvait rendre la poursuite du mandat difficilement tenable pour l’administrateur en question.

A côté de la responsabilité solidaire, subsiste la possibilité d’engager la responsabilité de plusieurs dirigeants lorsque ceux-ci peuvent chacun être considérés comme fautifs. Il s’agira alors d’une responsabilité in solidum pour les fautes concurrentes qu’ils auraient commises.

h). Responsabilité limitée

L’innovation la plus significative apportée par le CSA dans la matière de la responsabilité des administrateurs consiste dans l’instauration de plafonds de responsabilité, à l’instar de ce qui était déjà prévu pour les réviseurs d’entreprise.

Cette limitation de responsabilité concerne les administrateurs, les délégués à la gestion journalière ainsi que les administrateurs de fait. Elle concerne tant la responsabilité contractuelle envers la société que la responsabilité extracontractuelle envers les tiers.

L’article 2:57 CSA prévoit donc des plafonds de responsabilité dont les montants varient en fonction de la taille et l’importance de la société où s’exerce le mandat. Ces plafonds s’appliquent à l’ensemble des dirigeants, par fait ou par ensemble de faits pouvant impliquer leur responsabilité, quel que soit le nombre de demandeurs ou d’actions. En clair, ces montants plafonnés devront, le cas échéant, être répartis entre les différentes victimes indépendamment de leur nombre. Si plusieurs dirigeants sont responsables, le plafond de responsabilité n’en sera pas multiplié pour autant et constituera l’enveloppe globale qui couvrira leur responsabilité collective.

5 plafonds de responsabilité successifs ont été établis selon l’importance du chiffre d’affaires et du total du bilan calculés sur la base de la moyenne des 3 derniers exercices précédant l’intentement de l’action responsabilité. Pour les sociétés de moins de 3 ans, ces moyennes sont établies à partir de la date de constitution de la société.

Les seuils, qui doivent s’envisager de manière cumulative ou alternative selon les cas, sont les suivants :

****

Plafond de responsabilité Chiffre d’affaires moyen (htva)   Total du bilan
125.000 € <350.000 € et ≤175.000 €
250.000 € <700.000 € et <300.000 €
1 million € <9 millions € ou <4,5 millions €
3 millions € >9 millions € et >4,5 millions €
12 millions € >50 millions € ou >43 millions €
+ Entité d’intérêt public

 

Ces limitations de responsabilité ont été longuement débattues et ont fait l’objet de critiques.

Les buts poursuivis par le législateur consistaient à permettre l’assurabilité du risque lié à l’exercice d’un mandat de dirigeant d’entreprise, à rétablir un équilibre entre le régime des administrateurs et celui des représentants du management qui interviennent la plupart du temps dans le cadre d’un contrat d’emploi et peuvent bénéficier des limitations de responsabilité prévue en droit du travail (article 18 de la loi relative aux contrats de travail) ou au travers de sociétés de management bénéficiant elle-même d’une responsabilité limitée. Le législateur a également été inspiré par les limitations de responsabilité qui sont applicables dans les systèmes juridiques étrangers.

Des amendements apportés lors des travaux parlementaires ont cependant considérablement réduit la portée de cette limitation de responsabilité en excluant de son champ d’application une série de comportements et d’infractions pour lesquelles la responsabilité des dirigeants reste pleinement engagée.

Seront ainsi exclues :

  • La faute légère habituelle, la faute grave, l’intention frauduleuse ou le dessein de nuire dans le chef de la personne responsable.
  • Les obligations de garantie qui incombent aux administrateurs relativement à la validité des souscriptions lors de l’émission de nouvelles actions et à la libération effective des actions.
  • Certaines responsabilités fiscales en matière d’impôt sur le revenu ou de TVA.
  • Certaines responsabilités portant sur l’absence de paiement des dettes sociales en cas de faillite de la société si le dirigeant a déjà été impliqué dans des faillites antérieures où les mêmes manquements ont été observés.

Soulignons enfin que la responsabilité des administrateurs ne peut être limitée au-delà des plafonds légaux par une clause d’exonération de responsabilité, ni à l’égard de la société, ni à l’égard des tiers (article 2:58 CSA).

2). Responsabilités particulières

Bien que le CSA ait entendu simplifier le régime de responsabilité des administrateurs en regroupant les principes dans les mêmes textes, certaines responsabilités particulières subsistent, que ce soit dans le CSA lui-même ou dans d’autres textes légaux.

Le CSA prévoit ainsi des responsabilités particulières dans les cas suivants :
- La responsabilité des fondateurs,
- La responsabilité des administrateurs en cas de conflit d’intérêts,
- Les responsabilités en cas de méconnaissance des dispositions qui régissent la distribution des résultats,
- La responsabilité en cas de méconnaissance des procédures à suivre dans les entreprises ayant perdu une partie substantielle de leur actif net,
- Les responsabilités occasionnelles dans les hypothèses de transformation ou encore les actions en garantie pour les actions non valablement souscrites.

Le Code de droit économique (CDE) contient également un certain nombre de dispositions sanctionnant la responsabilité des administrateurs dans les sociétés en faillite. Ainsi en va-t-il :

  • de l’action en comblement de passif pouvant être menée par le curateur ou un créancier dans les hypothèses où le dirigeant a commis une faute grave caractérisée qui a contribué à la faillite de l’entreprise (article XX.225 CDE),
  • de la responsabilité aggravée des administrateurs pour les dettes sociales que l’ONSS ou le curateur peut recouvrer, en tout ou en partie, auprès des administrateurs qui, dans les 5 ans qui ont précédé la faillite, ont déjà été impliqués dans au moins 2 faillites ou liquidations d’entreprise à l’occasion desquelles des dettes de sécurité sociale n’ont pas été honorées (article XX.226 CDE).
  • de la responsabilité pour tout ou partie du passif social que le curateur peut réclamer à charge des administrateurs qui auraient poursuivi de manière déraisonnable des activités déficitaires de la société (wrongful trading) entraînant un aggravement du passif social (article XX.227 CDE)

B). LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DE L’ADMNISTRATEUR

La responsabilité pénale de l’administrateur peut également être engagée, sur la base de trois fondements : des dispositions spécifiques du CSA, certaines dispositions tirées du droit pénal commun, ainsi que d’autres encore, empruntées de diverses législations (par exemple, en matière sociale ou de protection de l’environnement).

1). Dispositions spécifiques du CSA

Le CSA réduit le nombre des sanctions pénales que comportait le Code des sociétés et fait le choix de privilégier les responsabilités civiles.
En ce qui concerne les administrateurs de sociétés anonymes, on peut cependant citer les articles 3:43 à 3:46 CSA, qui prévoient des sanctions pénales pour les administrateurs qui ne respecteraient pas les dispositions relatives aux comptes annuels ou comptes consolidés.

2). Dispositions tirées du droit pénal commun

Outre les infractions pénales particulières visées par le CSA, d’autres dispositions de droit pénal commun peuvent servir de base à l’engagement de la responsabilité de l’administrateur. On citera, par exemple, l’article 492bis du Code pénal, qui sanctionne l’abus de biens sociaux.

3). Responsabilité pénale de la société

L’article 5 du Code pénal régit la question de l’imputabilité de la sanction en présence d’une personne morale. Il prévoit que :

« Toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte » (al. 1er).

La personne morale ne sera donc pas tenue des infractions commises par des personnes physiques agissant dans leur intérêt pour leur propre compte, et se servant de la personne morale pour perpétrer ces infractions.

En outre, la loi prévoit que :

« La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs des mêmes faits ou y ayant participé. » (al. 2).