Bouleversements dans les réseaux de distribution
par Cécile Staudt et Patrick Kileste
29-06-2021

Bouleversements dans les réseaux de distribution

 

Plusieurs évènements viennent bouleverser les réseaux de distribution, en particulier dans le secteur automobile.

Décision de la Cour suprême des cartels autrichienne

Le 22 mars 2021, la Cour suprême des cartels autrichienne a globalement confirmé la décision qui avait été rendue par le tribunal des ententes de Vienne le 12 mai 2020 dans un litige qui opposait un concessionnaire Peugeot à l'importateur général des véhicules Peugeot en Autriche (ci-après « Peugeot »).

La cour a considéré que Peugeot dominait aussi bien le marché de la vente de véhicules neufs que celui de la réparation et qu’elle avait abusé de cette position dominante à l’égard des concessionnaires.

Après avoir mis en balance les intérêts en présence et recherché s’il existait des motifs économiques légitimes qui justifient des pratiques en cause, la cour a condamné les pratiques suivantes :

  • Lier le versement de primes aux concessionnaires à des enquêtes de satisfaction des clients. En première instance, le Tribunal avait souligné que les résultats étaient manipulés et n’avaient rien à voir avec une évaluation réelle de la qualité des services du commerçant. Il avait en outre relevé que les paramètres précis établis par Peugeot obligeaient les concessionnaires à se comporter envers leurs clients d’une manière différente de ce qu’ils feraient librement. La Cour confirme que l’évaluation des clients doit être objective, transparente et compréhensible, ce qui n’était pas le cas.

 

  • Réduire les marges des concessionnaires s'ils n'atteignent pas des objectifs de vente fixés par Peugeot (et par un expert). La cour confirme la décision du tribunal de 1ère instance selon laquelle les objectifs de vente étaient trop ambitieux, voire délibérément surévalués. En l’espèce, le système rendait difficile le calcul par les concessionnaires de risques essentiels.

 

  • Concurrencer les concessionnaires sur le marché du client final en pratiquant, par les filiales du concédant, des conditions que les concessionnaires ne peuvent égaliser.

 

Pour le reste, la cour a reconnu que Peugeot forçait les concessionnaires à participer à des promotions et, par conséquent, restreignait leur liberté de fixer les prix de vente. Cependant, la cour a estimé qu’elle ne dispose pas de suffisamment d’informations pour porter un jugement définitif sur le caractère éventuellement abusif de cette contrainte et elle a demandé des informations supplémentaires.

Dans le cadre des activités après-vente, la cour a confirmé la décision rendue en première instance, condamnant l’insuffisance de couverture des frais des travaux sous-garantie devant être réalisés par les membres du réseau, ainsi que le fait d’imposer aux concessionnaires de supporter dans une large mesure la charge liée à la vérification de la conformité des décomptes.

Enfin, de manière plus générale, la Cour a condamné la répercussion par Peugeot de frais de mystery shoppings, mystery leads et audits des critères standards sur les concessionnaires.

Dans la mesure où d’une part, cette décision est notamment fondée sur l’article 102 TFUE (interdiction de l’abus de position dominante) dont la portée est générale et qui s’applique à tous les pays de l’Union européenne, et où, d’autre part, les pratiques examinées sont des pratiques courantes dans le secteur de la distribution automobile, les conséquences de cette décision risquent d’être très importantes.

Ceci pourrait donc amener certains réseaux à modifier leurs pratiques. Soulignons en outre que les concessionnaires lésés par ces pratiques pourraient réclamer la réparation de leur préjudice.

Nouvelles dispositions en droit belge

A côté des dispositions de droit commun qui interdisent l’abus de droit et imposent aux parties d’exécuter leurs contrats de bonne foi, une loi du 4 avril 2019 a introduit dans l’arsenal juridique belge de nouvelles dispositions qui pourraient également avoir un impact important sur les contrats de distribution et les pratiques des réseaux.

Ainsi, outre l’interdiction des abus de position dominante, le droit de la concurrence interdit désormais l’abus de dépendance économique. Sont par ailleurs interdites au titre de pratiques déloyales, les pratiques trompeuses et agressives. La nouvelle réglementation qui interdit les clauses abusives dans les contrats entre entreprises pourrait elle-aussi avoir d’importantes conséquences sur les contrats de distribution.

 

Révision des règles de concurrence

L’article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit les accords entre entreprises qui restreignent la concurrence.

Le règlement européen nº 330/2010 (règlement d’exemption par catégorie applicable aux accords verticaux) définit les conditions auxquelles des accords verticaux (c’est-à-dire conclus entre des entreprises qui n’opèrent pas au même niveau de la chaine de production ou de distribution) en principe interdits sont présumés être exemptés (EUR-Lex - 32010R0330 - EN - EUR-Lex (europa.eu)). La Commission a également adopté une communication fournissant des orientations sur l’interprétation du règlement d’exemption et de l’article 101 TFUE (les «lignes directrices sur les restrictions verticales» : EUR-Lex - 52010XC0519(04) - EN - EUR-Lex (europa.eu)). Ce règlement d’exemption expirera le 31 mai 2022.

Dans le secteur de la distribution automobile, le Règlement 461/2010  (EUR-Lex - 32010R0461 - EN - EUR-Lex (europa.eu)) du 27 mai 2010, qui est entré en vigueur le 1/6/2010 et expirera le 31/5/2023, prévoit l’application du règlement général 330/2010 tant à la vente de véhicules neufs qu’à la vente de pièces de rechange et aux services de réparation, avec des règles particulières supplémentaires applicables pour la vente de pièces de rechange et les services de réparation. La Commission a également édicté des lignes directrices pour ce règlement : EUR-Lex - 52010XC0528(01) - EN - EUR-Lex (europa.eu).

La Commission a réalisé une évaluation du règlement d’exemption général et du règlement spécifique au secteur automobile afin de recueillir des éléments d’information sur le fonctionnement de ces règlements et de décider dans quelle mesure ils doivent être maintenus et modifiés.

Le 28 mai 2021, la Commission a publié un rapport d’évaluation concernant le règlement automobile, accompagné d’un document de travail (Register of Commission Documents - COM(2021)264 (europa.eu)).

L’un des points qui attirent l’attention des acteurs économiques, en particulier dans le secteur automobile, concerne les ventes « duales ».

Pour rappel, les accords entre concurrents ne sont pas couverts par le Règlement 330/2010 et doivent être appréciés au regard des règles de concurrence applicables aux accords horizontaux. Toutefois, l'article 2, paragraphe 4, du Règlement général et le paragraphe 28 des lignes directrices prévoient une exception à cette règle pour la distribution « duale », à savoir la situation dans laquelle un producteur vend ses biens ou services directement aux clients finaux, entrant ainsi en concurrence avec ses distributeurs au niveau du détail ("exception pour la distribution duale"). En effet, lorsque le Règlement a été adopté, les activités de détail des fournisseurs pratiquant la double distribution ont été considérées comme négligeables et peu susceptibles de poser des problèmes de concurrence horizontale.

Toutefois, la croissance du commerce électronique a permis aux fournisseurs de s'engager dans la distribution duale plus facilement que par le passé. Les règles pourraient donc être modifiées.

Par ailleurs, dans un document de travail (working_paper_on_dual_role_agents.pdf (europa.eu)), la Commission examine plus particulièrement la situation des distributeurs qui agissent également comme agents. Rappelons en effet que les « vrais » agents sont en principe exclus du champ d’application du règlement relatif aux restrictions verticales.  

La Commission souligne que le contrat d'agence ne peut tomber en dehors du champ d’application de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE que si (i) le distributeur est réellement libre de conclure le contrat d'agence (c'est-à-dire que ce contrat n'est pas imposé de facto par le commettant, par le biais, par exemple, d'une menace de résiliation ou d'aggravation des conditions de la relation de distribution) et (ii) tous les risques pertinents liés à la vente de biens couverts par le contrat d'agence à des tiers sont supportés par le mandant. Ces éclaircissements seront très certainement utiles dans le contexte actuel où de nombreux fabricants semblent enclins à modifier les contrats de concessionnaires en contrats d’agence.