Loi du 4 avril 2019: Quelques réflexions relatives à l'interdiction des pratiques abusives entre entreprises
par Cécile Staudt et Patrick Kileste
10-08-2019

Loi du 4 avril 2019: Quelques réflexions relatives à l'interdiction des pratiques abusives entre entreprises

1.         La loi du 4 avril 2019 a complété la norme générale de l’article VI.104 du CDE qui interdit les pratiques commerciales déloyales entre entreprises, en introduisant deux nouvelles catégories de pratiques interdites: les pratiques agressives et les pratiques trompeuses.

2.         Ces pratiques trompeuses ou agressives sont interdites lorsqu’elles amènent ou sont susceptibles d'amener une entreprise à prendre une décision relative à une transaction qu'elle n'aurait pas prise autrement. La notion de « décision » commerciale est définie par le nouvel article VI.103/1 comme étant « toute décision prise par une entreprise concernant l'opportunité de conclure un contrat, et, le cas échéant, sous quelles conditions, de le poursuivre ou d'y renoncer, d'effectuer un paiement intégral ou partiel, ou d'exercer un droit contractuel en rapport avec un produit, qu'elle l'ait amené soit à agir, soit à s'abstenir d'agir. ».

Cette décision vise donc le comportement économique d’une entreprise à tous les stades :

-       Dans la phase précontractuelle : Il s’agit concrètement de la décision de conclure le contrat avec l’autre partie. Elle peut donc porter également sur les modalités et conditions du contrat.

Cette nouvelle disposition vient donc compléter les obligations relatives à l’information précontractuelle qui existent déjà en matière de contrats de partenariat commercial.

-       Dans l’exécution du contrat : en ce qui concerne l’exercice des droits contractuels en rapport avec celui-ci ;

-       Au stade de la fin de la collaboration avec l’autre entreprise, et dès lors la possibilité de renoncer au contrat ou de le prolonger.

Les pratiques trompeuses

3.         Le nouvel article VI.105 défini les pratiques trompeuses entre entreprises :

« Une pratique du marché est réputée trompeuse si elle contient des informations fausses et qu'elle est donc mensongère ou que, d'une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d'induire en erreur une entreprise en ce qui concerne un ou plusieurs des éléments suivants, même si les informations présentées sont factuellement correctes, et que, dans un cas comme dans l'autre, elle l'amène ou est susceptible de l'amener à prendre une décision relative à une transaction qu'elle n'aurait pas prise autrement :

  1° l'existence ou la nature du produit;

  2° les caractéristiques principales du produit, telles que sa disponibilité, ses avantages, les risques qu'il présente, son exécution, sa composition, ses accessoires, le service après-vente et le traitement des réclamations, le mode et la date de fabrication ou de prestation, sa livraison, son aptitude à l'usage, son utilisation, sa quantité, ses spécifications, son origine géographique ou commerciale ou les résultats qui peuvent être attendus de son utilisation, ou les résultats et les caractéristiques essentielles des tests ou contrôles effectués sur celui-ci;

  3° l'étendue des engagements de l'entreprise, la motivation de la pratique du marché et la nature du processus de vente, ainsi que toute affirmation ou tout symbole faisant croire que l'entreprise ou le produit bénéficie d'un parrainage ou d'un appui direct ou indirect;

  4° le prix ou le mode de calcul du prix, ou l'existence d'un avantage spécifique quant au prix;

  5° la nécessité d'un service, d'une pièce détachée, d'un remplacement ou d'une réparation;

  6° la nature, les qualités et les droits de l'entreprise ou de son intermédiaire, tels que son identité et son patrimoine, ses qualifications, son statut, son agrément, son affiliation ou ses liens et ses droits de propriété industrielle, commerciale ou intellectuelle ou ses récompenses et distinctions;

  7° les droits de l'autre entreprise ou les risques qu'elle peut encourir;

  8° toute activité de marketing concernant un produit, y compris la publicité comparative, créant une confusion avec un autre produit, marque, nom commercial ou autre signe distinctif d'un concurrent;

  9° le non-respect par l'entreprise d'engagements contenus dans un code de conduite sectoriel par lequel elle s'est engagée à être liée, dès lors que ces engagements ne sont pas des déclarations d'intention, mais sont fermes et vérifiables;

10° la communication d'éléments dénigrants à l'égard d'une autre entreprise, de ses biens, de ses services ou de son activité ». 

Ainsi, désormais, conformément au point 9 ci-dessus, le non-respect d’un code de conduite sectoriel pourra être considéré comme une pratique commerciale trompeuse à deux conditions : 1°) l’entreprise doit s’être engagée à être liée par ce Code et 2°) les engagements concernés doivent être clairs.

A cet égard, dans le secteur de la franchise, le Code européen de déontologie de la franchise constitue incontestablement un code sectoriel de bonne conduite. Les franchiseurs et franchisés qui se sont expressément engagés à respecter ce Code pourraient donc voir leur responsabilité mise en cause en cas de violation des obligations concrètes qui y sont contenues.   

Parmi les dispositions de ce Code, le point 2.4. (d et e) précise que « les parties devront résoudre leurs griefs et litiges avec bonne foi et loyauté par la communication et la négociation directe » et que « lorsque la négociation directe entre les parties a échoué, [les parties devront ] rechercher à résoudre de bonne foi leur différend par la voie de la médiation et/ou de l’arbitrage le cas échéant ». Cet article pourrait être considéré comme contenant une obligation concrète de privilégier les modes amiables de résolution des conflits.

4.          En vertu du nouvel article 105/1 du CDE, la rétention d’informations par une entreprise à une autre entreprise constitue une omission trompeuse définie en ces termes :

 « Une pratique du marché est considérée comme une omission trompeuse si, dans son contexte factuel, compte tenu de toutes ses caractéristiques et des circonstances ainsi que des limites propres au moyen de communication utilisé, elle omet une information substantielle dont l'autre entreprise a besoin, compte tenu du contexte, pour prendre une décision relative à la transaction en connaissance de cause et, par conséquent, l'amène ou est susceptible de l'amener à prendre une décision qu'elle n'aurait pas prise autrement.

 Est également considérée comme une omission trompeuse, une pratique du marché par laquelle une entreprise dissimule une information substantielle visée à l'alinéa 1er, ou la fournit de façon peu claire, inintelligible, ambiguë ou à contretemps, ou n'indique pas son intention dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte et lorsque, dans l'un ou l'autre cas, l'autre entreprise est ainsi amenée ou est susceptible d'être amenée à prendre une décision relative à la transaction qu'elle n'aurait pas prise autrement.

 Lorsque le moyen de communication utilisé aux fins de la pratique du marché impose des limites d'espace ou de temps, il convient, en vue de déterminer si des informations ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par l'entreprise pour mettre les informations à disposition par d'autres moyens. ».

En matière de distribution commerciale et plus particulièrement en ce qui concerne l’information précontractuelle, la loi n’impose par exemple pas la remise d’un compte de résultat prévisionnel. Il serait envisageable que la non communication au candidat-franchisé d’un compte de résultat prévisionnel établi par le franchiseur puisse constituer (outre éventuellement un dol, vice ce consentement) une omission trompeuse au sens de l’alinéa 2 du nouvel article 105/1.

Les pratiques agressives

5.         Les nouveaux articles VI.109/1 à VI.109/3 du CDE définissent les pratiques agressives entre entreprises.

L’article VI.109/1 interdit les pratiques entre entreprise consistant en des pressions inappropriées qui altèrent la liberté de choix ou la liberté de conduite d’une autre entreprise et qui ont pour conséquence de l’amener ou d’être susceptible de l’amener à prendre une décision relative à la transaction qu’elle n’aurait pas prise autrement.

6.         Les formes de pression inappropriée visées à cet égard sont le harcèlement, la contrainte (y compris physique) et l’influence injustifiée.

L’influence injustifiée se distingue de la contrainte en ce que l’entreprise dans le premier cas est en position de force et abuse de celle-ci afin d’obliger son co-contractant à prendre une décision qu’il n’aurait pris autrement.

Dans les travaux préparatoires, il est précisé que cette position de force doit être entendue comme étant une situation d’inégalité entre la partie forte et la partie faible des deux entreprises et aucunement au sens du droit de la concurrence.

7.         Parmi les critères d’appréciation d’une pratique agressive, l’art. VI.109/2 précise deux critères d’appréciation intéressants :

 « (…)

  3° l'exploitation en connaissance de cause par l'entreprise de tout malheur ou circonstance particulière d'une gravité propre à altérer le jugement de l'autre entreprise, dans le but d'influencer sa décision concernant le produit;

 (…)

  6° la position contractuelle d'une entreprise vis-à-vis de l'autre entreprise. »

En matière de contrats de distribution commerciale, le distributeur est généralement considéré comme la partie « faible » au contrat de telle sorte que le critère relatif à la position contractuelle pourra probablement souvent être invoqué par lui.  

De même, les fournisseurs disposent généralement d’un nombre important d’informations relatives à leurs distributeurs. L’exploitation de ces infomrations pourrait aussi dans certains cas, amener à la conclusion de l’existence d’une pratique agressive.

8.         Les travaux préparatoires précisent encore que l’existence ou non de pratiques agressives devra toujours être évaluée compte tenu des caractéristiques spécifiques et des circonstances propres à chaque cas notamment le moment, l’endroit, la nature et la persistance de la pratique du marché. Dans ce cadre, les travaux citent à titre d’exemple les visites de représentants ou la vente par téléphone, suite auxquelles l’entreprise est amenée à conclure un contrat dont elle ne peut pas directement évaluer les conséquences.