Les dispositions de la loi du 4 avril 2019 relative à l’abus de dépendance économique sont entrées en vigueur depuis le 22 août 2020 et désormais inscrites dans le Code de droit économique (ci-après « CDE »).
L’article VI.2/1 du CDE interdit à une entreprise d’exploiter de façon abusive une position de dépendance économique relative d’une autre entreprise lorsque l’une est partenaire économique indispensable pour l’autre, à condition que cette pratique soit susceptible d’affecter la concurrence sur le marché belge concerné ou une partie substantielle de celui-ci.
Trois conditions cumulatives doivent donc être remplies pour qu’il y ait abus de dépendance économique :
L’abus de dépendance économique peut, en outre, revêtir plusieurs formes :
Les facteurs pertinents pour déterminer l'existence d'une position de dépendance économique comprennent notamment :
Dans son jugement du 16 avril 2021[1], le tribunal de l’entreprise d’Anvers a estimé qu’une entreprise active dans le secteur des fusils de chasse commettait un abus de dépendance économique ou adoptait, à tout le moins, un comportement arbitraire qui viole les pratiques loyales du marché en refusant soudainement d’approvisionner une entreprise détaillante, société sœur d’un distributeur qui vendait ses produits depuis plus de 35 ans.
Le fournisseur, spécialisé dans la vente d’articles de chasse, avait conclu un contrat de concession de vente exclusive pour un certain type de fusils de chasse avec une autre entreprise. En 1985, à la demande du fournisseur, le concessionnaire a scindé ses activités en deux et a ainsi créé deux entreprises distinctes : un commerce de détail s’occupant de la vente aux consommateurs finaux et une entreprise de distribution en Belgique.
Le fournisseur livrait alors les produits à la société distributeur tandis que la société détaillante s’approvisionnait auprès de la société distributeur.
Après 35 ans de relations contractuelles, le fabricant de fusils a mis fin de façon inattendue au contrat de concession et a notifié un préavis en février 2020 en vertu duquel la concession prend fin le 1er juillet 2020.
En effet, le fournisseur a décidé de réorganiser son réseau de distribution et de désormais approvisionner directement les détaillants belges.
Or, le distributeur estimait avoir l’exclusivité sur la vente des fusils de chasse et a intenté alors une action en justice afin de réclamer des dommages et intérêts. Néanmoins, le magasin détaillant s’est également retrouvé en difficulté étant donné qu’à la suite de la résiliation de la concession, ce dernier est tenu de s’adresser directement au fabricant afin de se procurer les armes et accessoires alors qu’auparavant, il se fournissait quasi exclusivement auprès de sa société sœur, distributeur.
Bien qu’il y ait une procédure en cours entre la société distributeur et le fabricant, ce dernier accepte d’approvisionner directement la société détaillant qui passe alors commandes, et ce, nonobstant la fin du contrat de concession entre le distributeur et le fabricant.
Néanmoins, juste avant la livraison attendue, le fabricant informe le détaillant qu’aucune livraison n’aura lieu tant que la procédure avec le distributeur n’est pas réglée.
Le détaillant décide dès lors d’introduire la présente action en cessation contre ce refus de livraison. Il demande alors au tribunal d’Anvers de condamner le fabricant d’armes pour refus de livraison et de vente et par conséquent, de le contraindre à livrer et à vendre.
Le tribunal estime dès lors que le refus de livraison est constitutif d’abus de dépendance économique au sens de l’article VI.2/1 du CDE lu en combinaison avec l’article VI.104 du CDE. Le tribunal indique les critères pertinents justifiant cette situation de dépendance économique à l’égard du fabricant. Le tribunal explique ainsi que le détaillant ne peut s’approvisionner chez un autre fournisseur en raison de la qualité des produits et du fait que la marque bénéficie d’une clientèle fidèle qui achète régulièrement des pièces détachées et des accessoires pour lesquels aucune alternative raisonnablement équivalente n’existe ; qu’il réalise 90% de son chiffre d’affaires grâce à la vente de ces produits et enfin, qu’il vend les produits du fournisseur depuis 35 ans.
Concernant l’abus, le tribunal souligne que la décision de ne pas livrer n’est pas une décision économique du fabricant mais simplement un moyen de pression dans le cadre du règlement du litige qui l’oppose avec le distributeur.
Le tribunal estime par conséquent qu’il y a abus de dépendance économique et oblige le fabricant à livrer à nouveau ses produits au détaillant.
Nous voyons donc que l’abus de dépendance économique peut constituer un acte contraire aux pratiques loyales du marché et que les entreprises qui en sont victimes peuvent valablement intenter une action en cessation contre un tel acte, indépendamment de l'affectation de la concurrence sur le marché belge. Rappelons, en outre, que l’abus de dépendance économique est une matière qui relève également de la compétence de l’Autorité belge de la Concurrence (« ABC »), qui peut alors imposer une amende allant jusqu’à 2% du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise concernée.
[1] Ondernemingsrechtbank Antwerpen (afd. Tongeren), 16/04/2021, A/21/00024, R.D.C.-T.B.H., 2021/5, p. 646-653.