Analyse de la pratique du "recouping" au regard de l'article X. 12 du Code de droit économique en matière de contrat d'agence
par Patrick Kileste et Manon De Neubourg
16-12-2022

Analyse de la pratique du "recouping" au regard de l'article X. 12 du Code de droit économique en matière de contrat d'agence

Par jugement du 21 mars 2022[1], le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles s’est prononcé sur différentes questions liées à la rétrocession des commissions d’acquisition en cas de désactivation des services, autrement appelée pratique du « recouping » et sur la portée de cette pratique au regard de l’article X. 12 du C.D.E.

En l’espèce, Proximus avait mis en place une nouvelle pratique, dite de « recouping » concernant la commission d’acquisition de son agent commercial.

Les parties ont à en effet conclu un contrat d’agence qui attribuait à l’agent commercial des commissions pour les affaires négociées par lui. Parmi celles-ci, l’agent avait notamment droit à une commission d’acquisition composée d’un forfait transactionnel et d’une commission récurrente sur certains services.

La perception de cette commission récurrente faisait ainsi l’objet d’un mécanisme contractuel dénommé « recouping » par les parties.

Ladite commission récurrente était définie comme un montant mensuel payé de manière anticipative et acquis de mois en mois par l’agent commercial pendant une période déterminée, appelée période d’acquisition, pour autant que le service donnant droit à cette commission n’ait pas fait l’objet d’une désactivation ou d’un changement de catégorie.

En cas de désactivation du service, pour quelque cause que ce soit, Proximus pouvait alors récupérer, par compensation, l’avance allouée à l’agent commercial, au prorata du nombre de mois restant jusqu’à l’échéance de la période d’acquisition.

Dans son analyse de la pratique du recouping, le tribunal se base sur l’arrêt rendu par la CJUE le 17 mai 2017 et opère une distinction entre le droit à la commission récurrente et son exigibilité.

Il estime que le droit à la commission naît dès la conclusion de l’affaire et non progressivement (de mois en mois). La pratique litigieuse concerne l’exigibilité (autrement dénommée acquisition) de la commission récurrente et non la naissance du droit à cette commission.

Le tribunal souligne ainsi que la pratique du recouping ne doit donc pas s’appréhender à la lumière de l’article X. 8 du C.D.E. qui concerne le droit à la commission. En effet, ce mécanisme est lié à l’extinction du droit à la commission et doit donc être appréhendé au regard de l’article 11 de la Directive 86/653 et de l’article X.12 du C.D.E.

En vertu de l’article X.12 du C.D.E., le droit à la commission de l’agent commercial peut s’éteindre dans trois hypothèses :

  • « S’il est établi que le tiers n’exécute pas ses obligations à moins que l’inexécution ne résulte d’une circonstance imputable au commettant ;
  • Si l’exécution est devenue impossible sans que cette impossibilité soit imputable au commettant ;
  • Si l'exécution de l'opération ne peut être raisonnablement exigée du commettant, en particulier s’il existe du fait du tiers un motif grave justifiant l’inexécution par le commettant ».

Le tribunal souligne qu’en l’espèce, la clause contractuelle litigieuse a une portée nettement plus large que celle des hypothèses prévues ci-dessus. Elle permet en effet à Proximus, sous la réserve d’une faute contractuelle établie dans son chef, d’obtenir le remboursement au prorata de la commission récurrente quelle que soit la cause de la désactivation du service, par exemple même lorsque Proximus est à l’initiative de cette désactivation.

Le tribunal estime par conséquent que cette clause n’est pas conforme à l’article X.12 du C.D.E. et prononce sa nullité.

Le tribunal refuse ainsi de procéder au remplacement de la clause litigieuse en soulignant le caractère impératif de l’article X.12 du C.D.E. qui ne permet pas au tribunal de convertir les clauses qui excèdent sa portée.

En conséquence, le tribunal ordonne la restitution, par Proximus, de toutes les commissions récupérées dans le cadre de la pratique du recouping

 

[1] Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles, 21 mars 2022, R.G. : A/18/04817, D.A.O.R., 2022/2, p. 99-110.