LE CONTRAT DE FRANCHISE EST-IL NECESSAIREMENT CONCLU INTUITU PERSONAE ?
par Patrick Kileste
19-06-2023

LE CONTRAT DE FRANCHISE EST-IL NECESSAIREMENT CONCLU INTUITU PERSONAE ?

La plupart des contrats de franchise contiennent des dispositions plus ou moins détaillées énonçant que le contrat de franchise est conclu intuitu personae en ce qui concerne le franchisé et ne l’est pas en ce qui concerne le franchiseur.

 

Ceci est évidemment conforme à l’intérêt légitime du franchiseur qui entend, d’une part, pouvoir s’assurer que le candidat franchisé qu’il avait sélectionné et à qui il avait normalement transmis son savoir-faire ne cède ses activités à un tiers qui ne correspondrait pas au profil de candidats souhaité ou n’aurait pas suivi ces formations et, d’autre part, entend quant à lui pouvoir, valoriser le réseau qu’il a développé s’il désire un jour céder ses activités.

 

Rappelons que l’on enseigne généralement qu’un contrat doit être considéré comme intuitu personae  « lorsque la considération de la personne de l'un des co-contractants est, pour l'autre, l'élément déterminant de la conclusion du contrat. Dans le contrat intuitu personae, ce n'est pas, en d'autres termes, le contrat comme tel qui intéresse celui qui le souscrit, mais le contrat exécuté par telle personne et non par telle autre, en raison de son aptitude ou de ses capacités »[1].

 

Il parait important de souligner que , si la solution exposée ci-dessus, est celle que l’on rencontre le plus souvent en pratique, elle ne s’impose pas nécessairement.

 

Deux grandes hypothèses doivent être distinguées, selon que le contrat contient des dispositions particulières à cet égard ou non.

 

Existence d’une clause écrite

 

Si le contrat mentionne expressément qu’il a été conclu intuitu personae, l'étendue du caractère intuitu personae et ses conséquences relèvent de l'interprétation du contrat. Il faudra donc se référer à ses termes exacts et examiner s’il interdit simplement la cession du contrat à une autre société, la cession de parts par les actionnaires, ou également le changement de dirigeants ou autre.

 

Absence de clause écrite

 

En droit commun

 

En l’absence d’écrit ou, en présence d’un contrat écrit ne contenant pas de clause spécifique à cet égard, la question du caractère intuitu personae ou non d’un contrat doit être analysée à la lumière des principes.

 

Deux hypothèses sont à envisager :

 

  • Soit le contrat a été conclu considérant que l’intervention du cocontractant est à ce point essentielle qu’elle se confond avec l’objet du contrat ou avec sa cause. Tel est le cas si la cocontractant était le seul avec lequel était possible l’exécution du contrat, sur base d’une relation intuitu personae.

 

  • Soit la présence du cocontractant « n’affecte pas la force obligatoire du contrat dont elle rend seulement l’exécution plus sûre » [2]. Dans cette hypothèse, les prestations prévues dans le contrat sont déterminables objectivement et un tiers pourrait les fournir : ni la cause, ni l’objet du contrat ne disparaîtraient du fait de la cession du contrat qui aurait pu être conclu avec une autre personne juridique et le contrat ne sera donc pas conclu intuitu personae.

 

Dans ce cas, le choix du partenaire, outre les qualités propres à cette société, ne serait qu'une garantie d’exécution du contrat, qu’un tiers pourrait également fournir et ne suffirait pas à considérer que celui-ci est conclu intuitu personae.

 

Sur base de ces critères, on pouvait sans doute défendre que, le plus souvent, le contrat de franchise aura bien été conclu intuitu personae dans le chef du franchisé mais la solution ne pouvait cependant pas être généralisée. De même, l’on ne pourrait considérer comme allant de soi que le contrat de franchise ne serait jamais conclu intuitu personae dans le chef du franchiseur qui serait donc toujours resté libre quant à lui de céder, sans l’accord du franchisé, le contrat à un tiers.

 

Dans le cas des contrats dits de « partenariat commercial » dont le contrat de franchise

 

La nécessité d’une clause écrite sur cette question est d’autant plus grande qu’il convient désormais de tenir compte des dispositions de la loi relative à l’information précontractuelle, aujourd’hui reprise dans le Code de droit économique.

 

L’article X.28, § 1er, 1° énonce expressément que le résumé des dispositions contractuelles importantes qui doit figurer dans ce document d’ information précontractuelle doit contenir « la mention que l'accord de partenariat commercial est conclu ou non en considération de la personne ». Si le document d’information précontractuelle ne reprend pas cette mention, la clause pourra être déclarée nulle.

 

Cette rédaction laisse clairement entendre qu’il y a donc un choix à effectuer au sujet du caractère intuitu personae ou non du contrat, ce qui paraît donc exclure que celui-ci puisse être considéré comme allant de soi s’il ne fait précisément pas l’objet d’une clause écrite.

 

 Champ d’application limité : Non application de l’intuitu personae aux cessions de parts

 

En outre, l’approche du caractère intuitu personae d’un contrat s’envisage classiquement sous l’angle d’un changement de la personne du cocontractant.

 

Dans le cas d’un contrat conclu avec une personne physique, l’on expose ainsi qu’un contrat intuitu personae ne peut être cédé à un tiers ou prendra fin en cas de décès du contractant en cause.

 

Cette analyse doit donc, nous semble-t-il, être affinée lorsque le cocontractant est une société. En supposant qu’un contrat conclu par une société doive être considéré comme intuitu personae, ce caractère interdira donc simplement la cession du contrat par cette société à un tiers sans l’accord du cocontractant.

 

Par contre, un changement d’actionnariat n’affecte en rien la personnalité juridique de la société. Une telle opération est une opération qui a certes une conséquence pour la société mais à laquelle celle-ci, tout comme ses cocontractants, est étrangère puisqu’il s’agit d’une opération concernant les actionnaires anciens et les actionnaires nouveaux. En d’autres termes, avant comme après le changement de contrôle éventuel d’une société, c’est bien toujours elle qui est partie prenante au contrat.

 

Si le contrat ne prévoit pas expressément qu’un changement de contrôle constituerait une cause de rupture, seule la cession du contrat à un tiers pourrait être considérée comme violant son caractère intuitu personae et un changement de contrôle resterait donc autorisé.

 

 

 

[2] VAN OMMESLAGHE,  « Les principes généraux relatifs à la fusion et à la scission selon les directives et la loi nouvelle », in Les fusions et scissions internes de sociétés, Bruxelles, Ed. Jeune Barreau, 1993, 46.