Arbitrabilité des litiges en matière de concession de vente
par Patrick Kileste et Manon de Neubourg
05-04-2023

Arbitrabilité des litiges en matière de concession de vente

L’IMPORTANT REVIREMENT DE JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION EN MATIERE D’ARBITRABILITÉ D’UN LITIGE DE CONCESSION DE VENTE EXCLUSIVE À DURÉE INDÉTERMINÉE 

L’article X.39 du CDE qui est à l’origine des interrogations relatives à l’arbitrabilité des litiges relatifs à la résiliation des concessions de vente exclusive dispose que 

« Le concessionnaire lésé, lors d’une résiliation d’une concession de vente produisant ses effets dans tout ou partie du territoire belge, peut en tout cas assigner le concédant, en Belgique, soit devant le juge de son propre domicile, soit devant le juge du domicile ou du siège du concédant. Dans le cas où le litige est porté devant un tribunal belge, celui-ci appliquera exclusivement la loi belge ».

:En adoptant cette disposition, le législateur a voulu éviter que la loi belge puisse être écartée au profit d’une loi étrangère qui n’accorderait pas une protection au moins équivalente au concessionnaire, spécialement lorsque le concédant est établi à l’étranger[1].

Cette protection n’a cessé de s’affaiblir au fil des années en raison de la primauté des règles de droit international privé qui ont successivement abouti :-

  • à ce que les clauses attributives de juridiction doivent l’emporter sur les dispositions de cet article X/39,
  • à ce que les clause prévoyant que la litige serait soumis à un droit étranger doivent également l’emporter sur les dispositions de cet article X/39.

En effet,  il résulte du principe de primauté des règles de droit international privé[2] que les dispositions du Code de droit économique, parmi lesquelles figure l’article X.39 précité, sont donc évincées au profit de celles prévues par les instruments de droit international directement applicables, notamment le Règlement Rome I[3] qui remplace la Convention de Rome[4]

Ces règles de droit international privé consacrent la liberté de choix de droit applicable par les parties.

Néanmoins, cette liberté de choix reste soumise à certaines exceptions notamment en présence de lois de police qui régissent la situation des parties[5].

Sous le régime de la Convention de Rome, il était généralement considéré, en Belgique, que cette liberté de choix ne portait pas atteinte au droit du juge d’appliquer les dispositions du C.D.E. relatives à la résiliation des concessions de vente, en raison de leur caractère d’application immédiate ou encore de « la loi de police »[6]

L’entrée en vigueur du Règlement Rome I paraissait justifier une nouvelle approche.

En effet, l’article 9.3. du Règlement Rome I limite l’application facultative d’une loi de police étrangère aux situations dans lesquelles celle-ci rend l’exécution du contrat illégale. Il était donc désormais douteux qu’u découle que le concessionnaire belge, lié par une clause désignant un droit étranger, puisse encore obtenir devant un juge étranger l’application de la loi belge dès lors que celle-ci ne vise pas l’exécution du contrat mais bien sa résiliation[7].

L’arrêt Unamar du 17 octobre 2013 rendu par la Cour de Justice a également entraîné des conséquences sur le critère d’arbitrabilité des litiges en matière de distribution commerciale. Cet arrêt a en effet adopté une approche extrêmement restrictive de la notion de loi de police.

Cet arrêt pose le principe selon lequel l’autonomie de la volonté des parties au contrat est une « pierre angulaire » de la Convention de Rome et qu’il convient dès lors de respecter le choix opéré par les parties quant à la loi régissant leur contrat, de sorte que l’exception relative aux lois de police doit être interprétée de manière stricte[8] et les conditions pour qu’une loi particulière soit qualifiée de loi de police doivent être constatées par le juge « de façon circonstanciée[9] ».

Pour rappel, les lois de police sont celles dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’Etat[10].

La notion de loi de police au sens des instruments de droit international privé rejoint dès lors la notion de loi d’ordre public « qui touche aux intérêts essentiels de l’État ou de la collectivité ou qui fixe, dans le droit privé, les bases juridiques sur lesquels repose l’ordre économique ou moral de la société »[11] à l’exclusion des lois impératives qui protègent des intérêts privés, comme celles de la loi belge relative à la résiliation des contrats de concession de vente exclusive à durée indéterminée.

La doctrine a immédiatement considéré que la solution retenue par l’arrêt Unamar était transposable au contrat de concession de vente et que les juridictions belges ne pouvaient donc plus continuer à priver d’effet le choix d’un droit étranger pour régir un contrat tombant dans le champ d’application des dispositions X.35 et suivantes du C.D.E. [12].

Nonobstant cette évolution, il semblait acquis qu’une dernière protection subsistait, celle qui, au niveau d’un déclinatoire de juridiction, ne reconnaissait pas la validité des clauses d’arbitrage qui auraient pour effet que le litige ne soit pas soumis au droit belge.

La Cour de cassation avait en effet jugé, dans un célèbre arrêt Audit-NSU du 28 juin 1979, que les litiges relatifs à la résiliation par le concédant d’un contrat de concession exclusive portant ses effets dans tout ou partie du territoire belge n’est pas arbitrable si cet arbitrage « a pour but ou pour effet d’entraîner l’application d’une loi étrangère[13] ».

Sur base de l’évolution des règlements rappelés ci-dessus, la Cour de cassation a récemment opéré un important revirement de jurisprudence dans son arrêt du 7 avril 2022 en mettant fin à la condition d’application du droit belge par les arbitres en tant que critère d’arbitrabilité des litiges relatifs à la résiliation des contrats de concession de vente exclusive. 

S’inspirant de l’arrêt Unamar, la Cour a considéré que les dispositions protectrices relatives à la fin des contrats de concession de vente exclusive à durée indéterminée ne sont pas des dispositions de police au sens désormais donné à cette notion par l’article 9.1 du Règlement Rome I car elles protègent essentiellement des intérêts privés.

Cet arrêt ouvre donc la porte à l’arbitrabilité des litiges relatifs à la résiliation des contrats de concession de vente exclusive à durée indéterminée et fait voler en éclat cette dernière protection dont bénéficiât le concessionnaire dont le contrat s’exécutait en Belgique.

Quels sont alors les moyens que pourrait opposer un concessionnaire belge à une convention d’arbitrage écartant l’application du droit belge ?

On peut penser à la théorie des vices du consentement. Pour que le choix du droit applicable soit réellement consensuel, il faut que le consentement du concessionnaire n’a pas été vicié. Parmi les vices de consentement, le nouveau Code civil prévoit les abus de circonstances qui existent lorsque, lors de la conclusion du contrat, il existe un déséquilibre manifeste entre les prestations par suite de l’abus par l’une des parties de circonstances liées à la position de faiblesse de l’autre partie (article 5.37 du nouveau code civil). Cette disposition ne sera cependant précisément pas applicable si le contrat est soumis à un droit étranger.

On pense également aux dispositions du code de droit économique relatives aux clauses abusives et à l’abus de dépendance économique.

Néanmoins, malgré l’affirmation de caractère de « lois de police » de ces dispositions dans les travaux parlementaire, la doctrine semble remettre en cause une telle interprétation en raison du manque de justification de ce caractère au sein des travaux parlementaires et de l’interprétation restrictive de cette notion par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Le dernier refuge, bien incertain, qui pourrait encore d’offrir aux concessionnaires serait celui de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre le droit à un procès équitable. En effet, l’on peut se demander, selon le cas d’espèce, s’il serait réellement équitable de recourir à un arbitrage lorsque les coûts d’une telle procédure sont manifestement déraisonnables, par exemple lorsque cet arbitrage est prévu à dans un pays lointain et exotique avec un panel de trois arbitres.

 

Patrick Kileste

 

[1] S. Goldman, « « A wind of change » dans l’arbitrabilité des litiges relatifs à la résiliation des contrats de concession exclusive à durée indéterminée » in Liber Amicorum Xavier Dieux, 1e édition, Bruxelles, Larcier, 2022, p. 1383-1406.

[2] Arrêt Leski, Cass., 27 mai 1971, Pas., 1971, I, p. 914.

[3] RÈGLEMENT (CE) N o 593/2008 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).

[4] Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (98/C 27/02).

[5] Article 7 de la Convention de Rome et article 9 du Règlement Rome I.

[6] P.Hollander, « L'arrêt Unamar de la Cour de justice : une bombe atomique sur le droit belge de la distribution commerciale ? », J.T., 2014/17, n° 6561, p. 297-301.

[7] P. Kileste, P. Hollander et C. Staudt, La résiliation unilatérale des concessions de ventes- 50 ans d’évolution de la loi du 27 juillet 1961, Anthémis, Limal, 2011, pp. 208 et s. et réf. Citées.

[8] Arrêt Unamar, point 49.

[9] Arrêt Unamar, dispositif.

[10] Article 9.1 du Règlement Rome I

[11] Voyez notamment Cass., 28 septembre 1979, Pas., 1980, I, p. 131.

[12] P. HOLLANDER, op. cit. p. 157, n°33.

[13] Cass., 28 juin 1979, Pas., 1979, I, p. 1260 ; R.C.J.B., 1981, p. 332 et note Vander Elst.