Rôle de l’équité dans les contrats de distribution commerciale en droit belge
par Patrick Kileste et Cécile Staudt
01-06-2016

Rôle de l’équité dans les contrats de distribution commerciale en droit belge

Relations commerciales déséquilibrées - Dans les réseaux de distribution commerciale tels que, pour ne citer que les plus courants, les réseaux de concession, de franchise ou encore d’agence commerciale, des parties sont amenées à travailler ensemble.

L’essence de ces relations est une collaboration qui poursuit un intérêt commun : la vente de produits ou de services au profit des deux parties.

Dans la pratique, on constate malheureusement trop souvent l’existence d’un déséquilibre dans la relation commerciale. Les contrats « proposés » sont dans la plupart des cas des contrats d’adhésion rédigés par le fournisseur seul. Ces contrats imposent par ailleurs généralement d’importantes charges et obligations au distributeur, et très peu au fournisseur.

Ce déséquilibre risque, à plus ou moins long terme, d’engendrer des différends entre les parties.

La mise en place et l’exécution d’une relation équilibrée et équitable permet, dans une certaine mesure, d’éviter les conflits.

Pour le surplus, différents instruments s’offrent aux parties afin d’assurer une relation équilibrée et de « protéger la partie faible ».

Règles légales protectrices - Tout d’abord, les textes légaux stricts contiennent des règles protectrices des distributeurs. Nous ne nous attarderons pas ici sur ces règles qui concernent essentiellement la phase précontractuelle ainsi que la fin de la relation commerciale (obligation de respecter un certain délai de préavis, de payer une indemnité de clientèle, etc.).

Ces règles sont en général impératives et les parties ne peuvent donc y déroger à l’avance. Le caractère impératif de ces règles constitue en soi une garantie pour les distributeurs.

Recours à l’équité - Ensuite, certains principes peuvent permettre de dégager des solutions aux litiges survenant en matière de distribution commerciale.

En effet, la loi expose des principes généraux mais elle ne peut en aucun cas prévoir l’infinie variété des questions concrètes auxquelles le juge et les parties doivent faire face. De même, une application stricte des règles ne permet pas toujours d’aboutir à une solution « juste ».

Le concept d’équité permet ainsi d’ajuster une décision aux circonstances de chaque espèce et de combler les lacunes de la loi.

Il existe quasiment autant de définitions différentes de l’équité que de personnes qui ont tenté de définir cette notion[i]. D’après le dictionnaire Larousse, il s’agit de la « qualité consistant à attribuer à chacun ce qui lui est dû par référence aux principes de la justice naturelle. Impartialité ». Pour Honoré de Balzac, « L’équité résulte des faits, le droit est l’application des principes aux faits. ».

Equité dans la loi - La loi elle-même prévoit parfois que le juge statue « en équité ». L’article 1135 du Code civil stipule ainsi en matière contractuelle que « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».

Cette règle de droit implique qu’en matière contractuelle, et donc notamment dans les contrats de distribution commerciale, l’équité doit jouer un rôle dans la détermination du contenu du contrat.

Au-delà de ce rôle, le juge saisi d’un litige relatif à une matière contractuelle pourra donc lui aussi se référer à l’équité pour déterminer le contenu des obligations des parties.

En matière de distribution commerciale, le Livre X, titre 3 du Code de droit économique relatif à la résiliation unilatérale des contrats de concession de vente à durée indéterminée, qui vise à assurer un équilibre entre la possibilité de mettre fin à un contrat conclu pour une durée indéterminée et la prise en compte de la situation du concessionnaire évincé[ii], se réfère expressément à l’équité. Les travaux préparatoires de cette loi illustrent l’objectif d’équité poursuivi par le législateur : « Voici un agent exclusif (sic) se livrant à des efforts considérables et exposant des frais énormes pour répandre sur le marché belge des articles provenant d’une firme étrangère. Cet agent serait exposé, lorsqu’enfin son travail et ses investissements porteront leurs fruits, à s’en voir privé d’un jour à l’autre parce que la firme étrangère s’aviserait d’alimenter directement le marché ou de passer par un autre intermédiaire à des conditions plus avantageuses. Qui plus est, le concessionnaire devrait liquider son établissement et licencier son personnel avec l’obligation pour lui de respecter les préavis légaux. C’est là une situation profondément injuste, dont il existe malheureusement déjà quelques exemples. »[iii].

Tel est également le cas, dans une moindre mesure, du titre 1 relatif au contrat d’agence commerciale.

Equité implicite - Le Code judiciaire prévoit encore que : « il y a déni de justice lorsque le juge refuse de juger sous quelque prétexte que ce soit, même du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi »[iv].

Ce texte, qui évoque donc la possibilité d’un « vide » législatif face à un litige impose donc néanmoins au juge saisi de trancher, sans cependant préciser les principes (autres que la loi) qu’il devrait appliquer.

Il existe en outre dans l’arsenal législatif certains concepts ouverts comme celui de l’exécution de bonne foi des conventions qui laissent au juge une marge d’appréciation.

De nombreuses applications sont données à la bonne foi en matière contractuelle[v], cette norme imposant ainsi aux parties certains devoirs avant, pendant et après leur relation contractuelle, notamment un devoir d’information et de conseil dans l’exécution du contrat, un devoir de collaboration loyale à l’exécution du contrat, un devoir particulier de loyauté et de modération qui s’exerce à la fin du contrat, notamment en cas de résiliation unilatérale, etc.

Ce principe de bonne foi s’applique de manière renforcée dans le cadre d’une relation à long terme. En effet, « sous l’angle interpersonnel, il s’agit de rappeler que contracter est un acte de confiance et un acte qui induit nécessairement des anticipations de part et d’autre »[vi]. « La confiance relationnelle nous paraît spécifique aux contrats à long terme » [vii].

La bonne foi remplit une importante fonction modératrice au principe de convention-loi qui interdit au bénéficiaire d’un droit ou d’une clause d’en abuser[viii]. Selon le critère générique de l’abus de droit, un tel abus peut « résulter de l’exercice d’un droit d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal de celui-ci par une personne prudente et diligente »[ix].

Ces principes de droit commun imposant l’exécution de bonne foi des conventions et interdisant l’abus de droit sont fréquemment appliqués dans les contrats de distribution.

Equité déguisée - Au-delà des discussions sur la notion d’équité, on constate depuis toujours l’existence en pratique d’une « équité déguisée ».

Cette pratique judiciaire du raisonnement inversé a été fort bien décrite par C. Albiges dans les termes suivants : « Dans un premier temps, une décision préalable sera retenue par le juge, en fonction des circonstances. Cette décision, même si elle a pu être fondée sur l’intuition, la conscience, la sensibilité, consiste essentiellement en une appréciation et une analyse des faits et des arguments juridiques qui sont l’objet du litige et dont le juge a pu prendre connaissance au cours d’un débat contradictoire […]. Dans un deuxième temps, il appartiendra aux magistrats d’envelopper la décision retenue d’un « vêtement juridique », afin de « camoufler » les décisions issues du raisonnement qu’ils ont adopté. En effet, au lieu de partir, selon le raisonnement traditionnel, de la règle de droit pour descendre à l’espèce, le juge peut parfois remonter de l’espèce à une règle de droit qui permettra « d’habiller l’équité de son nécessaire vêtement juridique » »[x] .

Modes alternatifs de règlement des conflits - Parmi les modes alternatifs de règlements des conflits, la médiation s’inscrit parfaitement dans l’optique de la recherche d’une solution équitable.

Il est malheureusement bien connu que les procédures judiciaires sont trop souvent longues, couteuses et aléatoires quant à leurs résultats.

La situation financière du distributeur est souvent moins bonne que celle du commettant ou concédant, ce qui peut constituer pour lui un frein à l’introduction ou à la poursuite d’une procédure judiciaire.

Par ailleurs, les contrats de distribution commerciale étant dans bon nombre de cas des contrats d’adhésion, ils prévoient régulièrement que tout litige éventuel sera de la compétence des tribunaux étranges qui devront de surcroit appliquer une loi étrangère.

Le recours à un médiation permet l’adoption d’une solution qui sera, par essence, d’avantage inspirée de l’équité ou de la bonne appréciation des intérêts en présence, que d’un texte légal dans toute sa rigueur.

En ce qu’elle constitue un moyen très efficace de rechercher une solution amiable à un litige, et donc en ce qu’elle permet à chaque partie, sur un pied de beaucoup plus grande égalité que ce qui ne sera souvent pas le cas dans une procédure judiciaire, de faire valoir leur point de vue, en vue d’en arriver à une solution respectueuse des intérêts et des besoins de chacune d’entre elles, le recours à la médiation s’inscrit dans le cadre plus globale encore de la recherche d’un nouveau paradigme en droit des affaires dans lequel la loi du profit et la loi du plus fort devraient s’estomper progressivement pour un retour à des valeurs plus équilibrées et plus justes.

 

Patrick Kileste et Cécile Staudt

Avocats au Barreau de Bruxelles[xi]

KMS Partners

 

 

 

[i] Notion qui provient du latin « aequitas » signifiant égalité, impartialité.

[ii] Sur cette question, voyez également P. Kileste et M. Caluwaerts, « La notion d’équité dans l’article 3 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des contrats de concession de vente exclusive à durée indéterminée », R.C.J.B., 2013/1, p.115 à 146.

[iii] Avis du Conseil d’État, Séance du Sénat du 15 juin 1960, Pasin., 1961, p. 630.

[iv] Article 5 du Code judiciaire, qui se trouvait à l’origine dans le Code civil.

[v] J.-F. Romain, Théorique critique du principe général de bonne foi en droit privé, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 867 et suivantes.

[vi] C.Delforge, « Le contrat à long terme » in Actualités en matière de rédaction des contrats de distribution, UB3, Bruxelles, Bruylant, 2014, p.22.

[vii] C.Delforge, « Le contrat à long terme » in Actualités en matière de rédaction des contrats de distribution, UB3, Bruxelles, Bruylant, 2014, p.23.

[viii] P. WERY, Le droit des obligations – Volume 1 – Théorie générale du contrat, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 125.

[ix] Cass., 10 septembre 1971, Pas., 1972, p. 28 et svtes; Cass. 11 septembre 2003, http://www.juridat.be; S. Stijns, Abus, mais de quel(s) droit(s)? Réflexions sur l'exécution de bonne foi des contrats et l'abus de droits contractuels, J.T., 1990, p. 33.

[x] C.Albiges, De l’équité en droit privé, L.G.D.J., Paris, France, 2000, p.122 et 123.

[xi] pk@kmspartners.be et cs@kmspartners.be