Distribution sélective quantitative: le fournisseur détermine librement le nombre de distributeurs agréés
par Cécile Staudt
21-06-2016

Distribution sélective quantitative: le fournisseur détermine librement le nombre de distributeurs agréés

Dans un arrêt du 14 juin 2012 (http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A62011CJ0158) , la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est prononcée sur une question préjudicielle qui lui avait été posée dans le cadre d’un litige opposant un candidat concessionnaire (Auto 24 SARL) à un concédant (en l’espèce Jaguar Land Rover France SAS) au sujet du refus de ce dernier d’agréer Auto 24 en tant que distributeur de véhicules automobiles neufs de la marque LAND ROVER.

Auto 24 faisait valoir, pour l’essentiel, que tout critère quantitatif au sens du règlement d’exemption en vigueur à l’époque, à savoir tout critère qui, afin de sélectionner les distributeurs ou les réparateurs, limite directement le nombre de ceux-ci, doit répondre à des justifications économiques objectives dont le fournisseur doit apporter la preuve et être appliqué de façon uniforme et non discriminatoire sur toutes les zones de chalandise et à tous les candidats potentiels au système de distribution.

La Cour de Justice s’était prononcée dans les termes suivants :

« Il résulte de ces dernières dispositions que, pour ce qui concerne tant les systèmes de distribution sélective quantitative que les systèmes de distribution sélective qualitative, au sens du règlement, des distributeurs doivent être sélectionnés sur la base de «critères définis», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous f), du règlement.

Dans ce contexte, les termes «critères définis», au sens de cette disposition, doivent être interprétés comme se référant à des critères dont le contenu précis peut être vérifié.

Il convient de préciser sur ce point qu’il n’est pas nécessaire, en vue de la vérification de leur contenu précis, que les critères de sélection utilisés aux fins d’un système de distribution sélective soient publiés, au risque, ainsi que l’a relevé le gouvernement français, de compromettre le secret des affaires, voire de faciliter d’éventuels comportements collusoires.

Par ailleurs, il ne ressort pas de la définition de la notion de «système de distribution sélective quantitative», figurant à l’article 1er, paragraphe 1, sous g), du règlement, que cette notion doive être interprétée comme comportant une exigence selon laquelle des critères appliqués par le fournisseur pour sélectionner les distributeurs doivent non seulement être «définis», mais, en outre, être objectivement justifiés et appliqués de façon uniforme et non différenciée à l’égard de tous candidats à l’agrément.

En effet, ce n’est que dans le contexte des systèmes de distribution sélective qualitative que le règlement, par la définition figurant à son article 1er, paragraphe 1, sous h), exige notamment que les critères de sélection utilisés par le fournisseur soient «requis par la nature des biens ou des services contractuels, établis uniformément pour tous les distributeurs ou réparateurs souhaitant adhérer au système de distribution, et appliqués d’une manière non discriminatoire». ».

La Cour de cassation française vient de se prononcer dans un sens similaire, estimant que la marque (en l’espèce Hyundai) peut déterminer librement le nombre de distributeur qu’elle souhaite agréer et les endroits où ces concessionnaires exploiteront leurs activités puisque, dans un système de distribution sélective, les concessionnaires ne bénéficient pas d’une exclusivité territoriale.

Un premier commentaire de cet arrêt (non (encore) disponible en ligne) indique que (http://www.autoactu.com/reseau-de-distribution---un-constructeur-n-a-pas-a-justifier-son-critere-quantitatif--reaffirme-la-cour-de-cassation.shtml) :

« L’affaire oppose cette fois Hyundai à la société Part Dieu automobiles. Distributeur Hyundai depuis 2003, Part Dieu a ouvert deux nouveaux sites dans l’agglomération lyonnaise (en 2005 et 2006) mais a dû fermer l’un d’eux en 2008, à cause, selon lui, de la nomination de deux autres distributeurs à proximité (en 2006 et 2008). Estimant qu’en nommant deux distributeurs, Hyundai avait modifié "l’équilibre contractuel en créant de nouvelles conditions de concurrence préjudiciables", Part Dieu réclamait des dommages-intérêts au constructeur. Mais le distributeur avait perdu son procès en appel. Il a donc tenté de faire casser l’arrêt de la Cour d’appel en cassation. En vain.

La Cour de cassation a en effet estimé que les juges du fond "ont légalement justifié leur décision d’écarter tout manquement de la tête de réseau à la bonne foi contractuelle". 

Liberté dans la détermination du numerus clausus 

La Cour d’appel avait jugé que ces nominations n’étaient "ni fautives, ni abusives" dans la mesure où elles "n’avaient pas augmenté le nombre de concurrents sur le secteur", puisque deux distributeurs ayant cessé leur activité en 2004 et 2005 étaient présents au moment de la signature du contrat (en 2003) entre Part Dieu et Hyundai. La cour avait aussi relevé que "dans un système de distribution sélective, les distributeurs ne bénéficient pas d’une protection territoriale dans une zone géographique particulière".

Mais surtout, elle avait repris l’analyse de la CJE en soutenant que "dans un système de distribution sélective, le fournisseur détermine librement le nombre d'opérateurs qu'il décide d'agréer". Ella ajoutait que "la nomination d'un nouveau distributeur est une prérogative de la société Hyundai, laquelle étant libre dans la détermination de son numerus clausus et n'ayant pas à justifier de sa pertinence et de son objectivité, ne peut se voir reprocher d'avoir nommé un distributeur supplémentaire". ».

Il n’en reste pas moins, selon moi, que cette décision ne pourrait être généralisée et qu’il faudra, dans chaque, cas, tenir compte des circonstances de fait. Il ne me semble en effet pas exclu que la nomination d’un nouveau distributeur puisse, dans certaines circonstances (proximité d’un concessionnaire existant, investissements importants et récents du concessionnaire existant pour satisfaire aux exigences du constructeur, etc), constituer un manquement à l’exécution de bonne foi du contrat par le constructeur.